ARCHITECTURES
 
 

Un musée MOYA bâti avec les 4 lettres de 
son nom par l'artiste niçois Patrick Moya

UTOPIES RÉALISABLES

Construire des habitations sur pilotis dans le lit du Var, depuis l’aéroport jusqu’à Carros, reliées par un métro aérien suspendu, sans exproprier les maraichers (Guy Rottier), bâtir un village sous-marins inspiré par l’imaginaire de Jules Verne (Jacques Rougerie), bâtir un musée MOYA avec les 4 lettres de son nom (Patrick Moya, ci-contre) ou encore surélever l'Autoroute A8 par une route touristique panoramique sur pilotis (projet Marc Canarelli, 2006) … Si l'imagination était au pouvoir, la planète terre n'aurait pas le même visage.

Par Florence CANARELLI 
 

 


 
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Utopie : "chimère, construction imaginaire dont la réalisation est impossible" … Mais aussi “ambition d’élargir le champ du possible”, ainsi que la définissait Thomas More qui a inventé le mot en 1516. 
C’est cette deuxième version que choisiraient les architectes dont nous avons sélectionné les projets. Car tous mettent un point d’honneur à se dire capable de bâtir leur rêve. Réalisables ou pas, ces projets ont en commun de parler à notre imaginaire.

A l'époque des Lumières, deux grands architectes français furent des visionnaires, mêlant critique de la société et idées pour l’améliorer, voire apporter le bonheur au peuple : Claude-Nicolas Ledoux imagine, autour de la saline royale d’Arc-et-Senans, une des premières unités d’habitation pour loger les ouvriers, tandis qu’Etienne-Louis  Boullée cherche à agir sur la conscience morale des citoyens avec ses édifices de rêves qui combinent géométrie et échelle gigantesque, comme son Cénotaphe à Newton, une sphère de 150 mètres de diamètre.

Dans le même esprit, au début du 19ème siècle, Tony Garnier concevait le projet d’une cité idéale, laïque et industrielle, qui apporterait le bonheur socialiste, d’où seraient absents les bâtiments pour la justice, l’armée et la police.
 

Une maison-bulle d'Antti Lovag


 

Un village sous-marin de Jacques Rougerie

Au 20ème siècle, on retiendra l’américain Frank Lloyd Wright, qui concevait  l’espace comme source de démocratie, plaidant pour un tissu désurbanisé entouré de  verdure et relié par de grands axes de circulation. Et surtout Le Corbusier, qui lui aussi voulait créer un nouveau style de vie avec sa “ville contemporaine de trois millions d’habitants” (1922), ou ses projets de ville verte à  Moscou et de “cité radieuse”. 
Plus près de nous, la grande époque des architectures utopique se situe dans les années 50 et 60 : désurbanistes russes et métabolistes japonais (Kenzo Tange), dômes géodésiques de l’américain Robert Buckminster Fuller, cité mobile (Rault, Marcot, Guy Rottier, Archigram), ville spatiale (Jean-Claude Bernard, Pascal Hausermann), ville-arbre, ville flottante ou sous-marine (Jacques Rougerie, Jacques Couelle)…

 
 
Guy Rottier,  l’anarchitecte écolo

Né en 1922 en Indonésie de parents hollandais, Guy Rottier est lié à la Côte d’Azur pour avoir fait sa scolarité à Grasse. Ingénieur et architecte, il travaille durant trois ans sur le projet de la cité radieuse au sein du cabinet de Le Corbusier, qui lui “a tout appris”. Une bonne école pour devenir un architecte visionnaire et non conformiste.

Inventif sans limites, il a derrière lui une longue série de projets novateurs, poétiques, un brin farfelus mais pleins de fantaisie et jamais gratuits car toujours réfléchis : après avoir mis au point le prototype d’un cabanon, inspiré de celui de Le Corbusier à Roquebrune - et malgré un échec commercial - il invente la maison à hélice, en forme d’hélicoptère :  exposée au salon des Arts Ménagers de 1964, ce sera son premier succès dans les médias internationaux.
Viendront ensuite la maison en forme d’escargot qui s’agrandit à la demande, la maison qui se transporte sur des câbles, la maison en carton qu’on brûle après usage, la maison de terre dont l’extérieur est un jardin, la maison qui roule, la maison éolienne …  Et encore le village-autobus, la ville-maison où des capteurs solaires répartissent la lumière où elle est nécessaire… Lire la suite


 
 

Yves Bayard,
l'architecte-poête,
joue avec les mots et les volumes

Né en 1935 à Paris, Yves Bayard sort architecte diplômé des Beaux-Arts avec un projet déjà utopique intitulé “le Maréolien”, où on trouve en germes les grands thèmes de son oeuvre : l’observation de la nature, le postulat des contraires, (le vide et le plein, la violence et la plénitude), sa forme géométrique fétiche, l’arc et l’idée de promenade sensitive. 
Dans les années 70, il participe à la réflexion sur l’urbanisme de Sophia Antipolis et signe plusieurs bâtiments (le laboratoire Allergan, le restaurant de France Télécom ou le Théâtre en plein air). 
Parmi ses réalisations phares, la technopole de Limoges en forme de  soucoupe volante, un collège à Bagneux en forme d’arc … A Nice, notre célèbre MAMAC, à cheval sur la nationale 7, et son théâtre et plus récemment, la Bibliothèque et sa Tête au carré, une sculpture monumentale habitée inspirée de Sosno. 
Si on ne peut le qualifier d'architecte utopiste car il a finalement beaucoup construit, Yves Bayard ne dédaigne pas l'utopie :
- "L'utopie, c'est ce que je fais sans avoir de client, quand c'est dans ma tête uniquement que tout se passe"
Et dans sa tête de poète, il lui arrive de "rêver de villes franches, sans règlements" et de militer "pour la création d'espaces de liberté, pour l'imaginaire car on peut habiter n'importe quelle forme … sauf le néo-provençal"  !


 
 
Une rose des sables habitable

On peut habiter n'importe quelle forme, et il le prouve en concevant une rose des sables habitable qui servirait de studio à un pianiste :
- "Dans cette géométrie particulière, j'ai imaginé un lieu où de grands pianistes pourraient séjourner quelques temps, y composer, recevoir des amis dans l'auditorium puis faire descendre le piano par un système de câbles, comme au théâtre, pour donner un concert en extérieur"


 
 
Saint Honorat debout !

Saint Honorat et Sainte Marguerite sont deux îles qui s'ignorent : sur l'une vivent des moines au milieu des vignes, tandis que l'autre est vouée aux touristes. C'est en partant de cette constatation, et du fait que, depuis Cannes, la petite île de St Honorat est cachée par la grande, qu'Yves Bayard a conçu son idée un peu folle et un brin provoc :
- "Dessiner le contour de la petite, en faire une sorte d'écran géant et le planter sur la grande, verticalement, sur un mât central … comme si Saint Honorat honorait enfin Marguerite", se réjouit, dans un grand éclat de rire, l'architecte-poête qui aime autant jouer avec les mots qu'avec les volumes.
D'où son projet grandiose et jubilatoire d'une énorme structure de 1000 mètres de long et 300 mètres de haut, qui s'oriente au mistral ou s'incline, et dont la peau, percée comme les mailles d'un filet, évite la prise au vent.
 


 
Sur son sommet, large de 30 mètres se terminant en pointe, peuvent y atterrir des hélicoptères : on y accède par l'intérieur du mât, en empruntant l'ascenseur !
Et ce n'est pas tout : cette structure, qui a donc la forme de l'île St Honorat vue d'avion, peut également servir d'écran géant sur lequel on projette des films, à partir de projecteurs puissants installés par exemple dans le fort.
La ville de Cannes cherche à bâtir une Cité du Cinéma : la voila, spectaculaire et poétique, visible depuis la Croisette - qui peut la nuit s'éclairer de l'intérieur - et dont le financement ne coûterait pas plus cher qu'une superproduction hollywoodienne !

 
Louis Rué et Norman Foster : 
une ambition futuriste pour Monaco
 

Extension sur le domaine maritime ou urbanisme vertical ?
Pour grandir et loger ses habitants, Monaco n’a pas 36 solutions. 
Pousser en hauteur fut le choix des années 70 : le quartier du Larvotto fut durant une quinzaine d’années un laboratoire de l’urbanisme vertical. La décennie suivante vit la naissance de Fontvieille, avec ses 22 hectares gagnés sur la mer.
Depuis lors, on phosphore dans les bureaux d’étude monégasques pour rendre possible une nouvelle extension du territoire.
Datant des années 90, le projet de Fontvieille II avait à l’origine pour but de montrer l’utilisation judicieuse possible de la technique du mur d’eau fixe, brevet  monégasque qui sera utilisé plus tard pour la digue flottante de la Condamine.
Aujourd'hui, c'est du côté du Larvotto que se tournent les regards pour envisager le futur de la Principauté.
Devançant l'appel d'offres, le cabinet Rué, architectes monégasque de père en fils, s'est associé avec Foster & partners pour plancher sur des projets futuristes.
Le grand architecte britannique, Lord Norman Foster, 71 ans - qui a signé la conception du Carré d'Art à Nîmes, du Reichstag de Berlin, du stade de Wembley ou du viaduc de Millau - travaille déjà actuellement sur les plans du futur yacht club de Monaco.
Louis Rué (92 ans) et son fils Raymond, viennent de réaliser le Monte-Carlo Bay, nouvel hôtel quatre étoiles de la Société des Bains de Mer, dans un style néoclassique.
Ensemble, ils ont étudié dès 1997 un premier projet très ambitieux qui ajoutait un tiers de territoire en plus : 2,5km de plages de sable fin dans une lagune protégée, 800 places de bateau, le tout à l'abri derrière une double digue protégeant non seulement le port Hercule mais l'entrée de celui de Fontvieille. 
Faisable techniquement, cette digue aurait été construite sur 80 mètres de fond et demandé des travaux offshore beaucoup trop coûteux.

 

 
 
D'où ce deuxième projet plus réaliste, qui a demandé quand même deux ans et demi de travail à une équipe de 30 personnes : l'idée est de combler la baie du larvotto par une plate-forme sur pilotis constituée par des caissons de 30 mètres de haut - en ménageant au milieu un joli port de forme ovale.

Ce qui permet de créer 400 mètres de plage et de véritable lagunes d'eau de mer, ainsi qu'un quai pour les grands paquebots de 350 mètres.
Sur la plate forme, pourraient être construit de hautes tours de verre résolument modernes, signées par les grands noms de l'architecture internationale - ce qui n'a jamais été le cas à Monaco jusqu'à présent.

Utopiste par sa vision d'un Monaco qui sortirait de son image sage et  classique, ce projet est réaliste, si l'on en croit les nombreuses études de faisabilité réalisées.
 


 
 
Autres idées grandioses contenues dans le projet :  construire un tunnel depuis le pont du Paillon à Nice jusqu'à Monaco, un nouveau tunnel piétonnier depuis la gare et ensuite, des tapis roulants et Escalators partout… pomper l'eau de mer pour la faire circuler dans des tuyaux à des fins de  chauffage et de climatisation … et même modifier le circuit du Grand Prix en construisant une promenade piétonne sur pilotis, le long du Loews, à l'air libre, où passerait le grand prix, ce qui lui permettrait d'éviter le dangereux tunnel sous le Loews !

Coût estimé : 5 milliards d'euros et 3 ans de construction pour la plate-forme, dix ans et 25 milliards d'euros pour le bâti, tous les travaux se faisant à partir de la mer.

Lord Norman Foster
 

 
 
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