ARTISTES SUR SECOND
LIFE
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PATRICK MOYA,ou la tentation
d'une île
- "Je dois rentrer à l'atelier,
j'ai un vernissage sur Second Life".
De quel atelier parle-t-il, de sa vieille
maison début de siècle ou de sa factory virtuelle ?
Est-il devenu fou, depuis qu'il a acheté
une île faite de pixels pour 1600 vrais dollars et 300 dollars de
frais mensuels ?
Si son interlocuteur s'y perd, Patrick
Moya non, qui jongle d'un univers à l'autre, de la RL (pour Real
Life) à SL (pour Second Life), de la même manière qu'il
s'est toujours joué des différents médias, passant
des pinceaux à l'ordinateur, des peintures pseudo-naives remplies
d'animaux aux films en 3D puis aux gigantesques sculptures en acier.
Par Florence CANARELLI
(cet article est paru dans
le n° 2 du magazine ART COTE D'AZUR, MAI 2008)
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Une journée dans
la vie d’un artiste du web 3D
Dès l'aube, avant même de
boire son café, Patrick Moya allume son ordinateur pour relever
le radar qui lui donne le nom de tous les avatars passés sur son
île pendant la nuit, en provenance du Japon, du Danemark ou des Etats-Unis.
Après un croissant mangé
au dessus du clavier de l’ordinateur, faisant fi des miettes tombant dedans
de peur de rater quelques minutes de sa «seconde vie», son
double moya janus passe dire bonjour aux étudiants des Beaux-Arts
de Venise qui prépare la (vraie !) Biennale d'architecture dans
l'atelier virtuel qu'il leur a installé sur la rive sud-est.
Comme il faut bien vivre, vendre quelques
toiles sous la pression de son galeriste, il monte dans son atelier de
la RL à l’étage pour commencer une toile de commande.En attendant
que la peinture sèche, il redescend sur SL visiter un nouveau lieu
d’exposition, par exemple l’île du "Docteur Muglerstein" conçu
par Thierry Mugler, qui a proposé à Moya une (virtuelle)
résidence d’artiste.
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Peu avant midi, c’est l’heure où
Moya redescend dans la RL pour donner ses rendez-vous, juste avant le rituel
déjeuner de midi dans son restaurant préféré
du quartier, où il invite un journaliste, un chef d’entreprise à
la recherche d’idées, un commissaire d’exposition ou le représentant
d’une grande banque intéressé par une démonstration
de Second Life.
Ces heures du déjeuner sont bien
les seuls moments consacrés à sa vie "privée", à
la suite de quoi il revient poursuivre sur Second Life ses travaux de terrassements,
pour, suivant l'humeur du moment, construire un nouveau musée Moya,
un hôpital Moya, une boutique Moya ou alors pour creuser un gouffre
vertigineux dans la falaise du Vieux Moya afin d'épater les futurs
visiteurs.
Sous le coup de l'inspiration, il remonte
dans son atelier de peinture pour s'essayer à la représentation
picturale de son avatar, ou enrichir de personnages peints une image numérique
issue de Second Life …
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Autant d'oeuvres mixtes, mêlant
réel et virtuel qui serviront de prétexte à une future
exposition. Tandis que, par peur de rater une rencontre déterminante,
il connecte un pc portable en wifi pour pouvoir surveiller SL tout en continuant
la peinture.
Après l'incontournable café
de 16 heures sonnantes (réel celui-là), il reprend sa deuxième
vie pour inventer quelques nouvelles sculptures virtuelles.
Se jouant des "scripts" spécifiques
de SL - grâce auxquels on donne des attributs de flexibilité
ou de rotation à des formes choisies - il poursuit son oeuvre de
la RL en déclinant les 4 lettres de son nom, ou ses thèmes
fétiches comme les ailes, les masques et les auto-portraits.
Quand le soir tombe, Moya se prépare
pour "aller manger chez sa maman", seule opportunité pour lui de
regarder un peu la télé et de s'informer de la marche du
monde réel - avant de rentrer en vitesse participer à l'intense
vie nocturne de SL.
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C'est ainsi que son double, moya janus,
assiste à un vernissage, à un concert, à une conférence
de haut niveau sur Pierre Bourdieu ou sur le e-paper …
Quand il ne s'agit pas de répondre
à une interview en direct depuis SL par avatar interposé
: c'est ce qu'il a fait récemment pour une radio suisse, pionnière
de la radio-web !
Parfois, Moya laisse son avatar en train
de danser dans une "rave" pour remonter finir une gigantesque toile de
4 mètres destinée à une Dolly Party, tout en écoutant
la musique en streaming d’un DJ en direct de Zurich sur SL.
Et avant d’éteindre l'ordinateur,
il ne manque pas de faire un retour sur son île afin de guetter les
visiteurs et leur proposer une visite guidée en voiture … lui qui
n'a pas son permis de conduire dans la RL !
Sur le coup des deux heures du matin, Moya
remonte une dernière fois … pour se coucher, quittant à regret
sa passionnante seconde vie.
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C'est sur Second Life
et nulle part ailleurs
Où, ailleurs que sur SL, Patrick
Moya aurait-il pu acheter une île de 65.000 mètres carrés
et lui donner son nom. En faire une oeuvre globale de la taille d'une petite
ville qui demande plusieurs heures de visite. Montrer son travail au monde
entier, en 3D, rencontrer en personne son public, et le faire entrer dans
son univers.
Avec comme conséquences de vendre
des sculptures virtuelles dans une foire d'art (Start à Strasbourg
en novembre 2007), d'animer des soirées branchées (par exemple
au Théâtre de la Mer à Sète pour accompagner
le groupe de rock franco-islandais The Do), de faire des interventions
dans des écoles d'art (l'Accademia di Belle Arti de Venise) ou même,
surprenant retour des choses, bientôt devant les ingénieurs
d'IBM La Gaude !
Mais posséder une île sur
Second Life (il en existe 14.000 à ce jour) n'est pas à la
portée de tous, il faut en payer le prix. Le plus souvent, seules
les grandes entreprises peuvent se le permettre. Ou alors quelques promoteurs
entreprenants - comme cette jeune chinoise devenue célèbre
(elle a fait la une de Business Week !) pour s'être enrichi en revendant
des îles en parcelles et en faisant de la spéculation immobilière,
comme dans la vraie vie !
En tant qu'artiste, Patrick Moya est en
la matière un cas unique, d'autant plus qu'il a donné son
nom à cette île, comme il avait auparavant acheté son
nom de domaine sur internet. Notons qu'il reste en cohérence parfaite
avec sa démarche artistique, quand on connait l'importance du nom
dans son oeuvre … et sa théorie selon laquelle "la créature
- en l'occurence moya janus - doit prendre le pouvoir sur le créateur".
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A part l'exception Moya, on trouve par
exemple Thierry Mugler, qui, depuis qu'il a revendu en 2002 sa maison de
couture, finance quelques projets novateurs.
Ainsi il a confié à Balistik*Art,
une agence de communication 2.0 créée en octobre 2007, la
construction de l'île du "Docteur Muglerstein", transposition de
son univers extravagant., où le "docteur" propose aux résidents
de «Muglériser» leurs avatars, de revêtir l’apparence
de personnages célestes et fantastiques, fidèles à
l’imaginaire du créateur : "ma mesure, c’est la démesure",
aime-t-il à dire.Réalisée par un "builder" spécialisé,
Balthasar Truffaut de son nom d'avatar, sur un projet dessiné par
Mugler lui-même, cette ile aux couleurs bleutées de son parfum
Angel, est une des plus belles de Second Life.Depuis son premier défilé
en 3D réalisé à Imagina en 1998, Thierry Mugler est
à ce jour le seul créateur de renommée internationale
à s'investir dans les mondes virtuels. Quant aux fondateurs de Balistik*Art,
Stéphane Galienni et Alexandre Véry, ils se destinent à
accompagner les annonceurs du luxe (dernièrement Lancôme ou
Jean-Paul Gaultier) dans leurs approches nouveaux médias, à
"anticiper l'évolution des comportements communautaires afin de
délivrer le bon message au bon moment sur les bons canaux de communication". |
Moya Janus en résidence d'artiste sur l'île du Docteur
Muglerstein
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L'île
secrète d'IBM La Gaude
L'entreprise américaine est sans
doute la seule de la Côte à posséder une île
virtuelle. Mais c'est une ile à usage privatif des employés
d'IBM, elle ne se visite pas … Sauf pour les lecteurs d'Art cote d'Azur.
Claire Lamy, la spécialiste SL,
nous dévoile qu'on y a reproduit le site de la Gaude, et que les
employés s'y exercent à développer par exemple des
magasins virtuels. De façon générale, l'entreprise
américaine dispose à ce jour de plus d'une vingtaine d'îles
et de plusieurs milliers de collaborateurs ayant un avatar.
Ses domaines d'action dans les mondes
virtuels : le "v-commerce" ou comment les mondes virtuels peuvent être
appliqués à chaque secteur d’activité; la collaboration
ou comment travailler ensemble dans les mondes virtuels; la formation (interne
ou clients) ou comment les mondes virtuels permettant de visualiser des
concepts en 3D …
Récemment, les chercheurs d'IBM
ont par exemple mis au point un avatar 3D modélisant le dossier
médical du patient.
Bref, IBM cherche à déterminer
quels nouveaux usages peuvent découler de ces nouvelles technologies,
"qui feront partie de l'internet 3D de demain".
Et pour les curieux qui veulent rencontrer
un "IBMer", rendez-vous dans le centre d'affaires virtuel IBM : il est
ouvert 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24.
Second Life est pour
eux un "formidable laboratoire de recherche" dont l'avenir passera par
un accès plus simple, voire une intégration aux navigateurs
sous forme de plug-in et surtout par l'Open Source et l'interconnexion
entre les différents univers virtuels".
- "Les grands artistes du futur viendront
du web"a prophétisé Charles Saatchi, grand collectionneur
anglais d'art contemporain.
- "Second Life, ou un univers équivalent
en 3D, est l'avenir de l'internet", approuve Jacques Gros, directeur
d'IBM La Gaude, une des rares entreprises azuréennes à posséder
une ile privée.
Et si c'était vrai ?
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Patrick Moya versus moya janus (Photo : Jean-Charles Dusanter)
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Le guide de l'île
MOYA sur Second Life
Pour poursuivre l'illusion d'un nouvel
univers à visiter, Patrick Moya a rédigé un Guide
touristique de son île qui raconte en détail l'histoire de
l'implantation de Moya sur Second Life.
Il y explique par exemple la construction
du vieux village de Moya qui surplombe la mer, avec à son sommet,
la Chapelle Moya (copie conforme de la Chapelle Saint Jean-Baptiste peinte
par Moya à Clans) ou encore du Moya Club, qui accueille les célèbres
soirées techno Dolly Party dont Moya a dessiné la mascotte.
A côté des nombreux musées
Moya, de la Biennale de Moya … le Guide répertorie également
les boutiques Moya, où rien n'est à vendre mais qui servent
à exposer les oeuvres de Moya ayant pour thèmes la mode,
l'optique, la lingerie ou les vins. Il en est de même pour le Moya
Hospital ou la pharmacie Moya. Le Moya Land n'exige ni visa ni papier d'identité,
mais vous proposera un "Moya Tour", visite guidée en voiture en
présence de l'artiste en personne. L'île Moya : une destination
de rêve !
Le guide de l'île Moya est consultable
sur internet à cette adresse : http://www.moyacircus.com/sltourisme.htm
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SECOND LIFE A-T-IL UN
AVENIR ?
Le phénomène Second Life
est-il un feu de paille ou symbolise-t-il le web du futur ? Toujours est-il
qu'il n'est pas né par hasard : 10 ans de réflexion, 4 ans
de développement, une amélioration continue, des outils de
3D accessibles à tous, l'implantation d'IBM en 2006 suivie de nombreuses
entreprises internationales - de Microsoft à Nike en passant par
Coca-Cola ou Toyota, mais aussi Renault et Peugeot, BNP-Paribas, la Caisse
d' Epargne et le Crédit Agricole, L'Oréal et YSL - ce deuxième
monde a pris de l'avance sur la concurrence.
Créée en 2003 par le Californien
Philip Rosedale, qui voulait "inventer un nouveau monde", l'entreprise
Linden Lab emploie 200 programmeurs indépendants pour un chiffre
d'affaires estimé à 70 millions d'euros.
Et même si aujourd'hui, la progression
est ralentie (plus de 13 millions d'inscrits mais 60.000 personnes connectées
en même temps), le fondateur n'étant plus que président
du conseil d'administration, et les entreprises déçues de
ne pouvoir (jusqu'à présent) y faire des affaires, SL reste
une formidable opportunité pour les créatifs, à l'exemple
de Patrick Moya.
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