Un fin
visage entouré de cheveux
frisés, un parler plein de douceur, une personnalité
discrète qui sait réfléchir en solitaire mais
aussi partager – il aime beaucoup son métier d'enseignant
– ainsi apparaît Vivien Isnard au premier contact. Son
oeuvre, en grande partie abstraite, respire la sensibilité et la
délicatesse. Plongez-y : ce sera un merveilleux bain de
beauté et d'harmonie.
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S'il est né en 1946 à La Forges-les-Eaux, en
Seine-Maritime, c'est par le hasard des nominations de ses parents
fonctionnaires. Car c'est à Saint Martin Vésubie que Vivien Isnard a
vécu son enfance, avant de devenir à 15 ans pensionnaire au lycée
Masséna de Nice.
La sensibilité artistique est dans la famille
Isnard : un père qui aime dessiner, une grand-mère musicienne et un
grand-père aussi, chimiste et inventeur qui plus est, de qui Vivien
tient sans doute son « esprit également scientifique ».
A Nice,
il découvre le pensionnat, la vie de groupe qui lui plait, et surtout,
l'effervescence artistique des années 60 : c'est l'époque où Ben fait
ses happenings dans sa boutique rue Tondutti-de-l'Escarène, où on peut
voir des pièces de Brecht au théâtre de l'Artistique et discuter art au
café le Félix Faure avec Arman, Farhi ou le critique Pierre Restany. |
C'est dans ce contexte qu'il s'inscrit aux
« arts-déco » - école devenu depuis
lors « la Villa Arson ». Après un
an d'armée en Allemagne (en 1968 !), il s'inscrit en 5ème
année aux
beaux arts d'Aix en provence, où il eut la chance d'avoir Claude
Viallat comme professeur : le fondateur de Supports/Surfaces, mouvement
qui a radicalisé la théorie et la pratique de la
peinture, lui apprend
à modifier son approche de l'art, à
« déconstruire le tableau, repenser
la peinture à partir de la notion de la fin de l'art,
requestionner la
peinture depuis ses origines. »
Cependant, pour des « raisons de
générations », Vivien Isnard deviendra membre, non pas de
Supports/Surfaces, mais du « groupe 70 », constitué à Nice d'anciens
élèves de Viallat (Max Charvollen, Maccaferri, Martin Miguel et Louis
Chacallis), qui, comme lui, « interrogeaient l'histoire de l'image et
de la représentation. »
Ensuite, il suivra son propre chemin,
empruntant un moment celui de la psychanalyse, mais s'orientant vers
Jung (son inconscient collectif et ses archétypes) plutôt que vers
Lacan.
Car Vivien Isnard est un intellectuel : « J'ai besoin
d'espace dans ma tête. Je me posais des questions métaphysiques : qui
suis-je ? Où est notre liberté ? »
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Nommé professeur aux beaux-arts de Tours en
1979, il profite des voyages en train pour lire Castaneda,
s'intéressant autant à l'astrologie vue par Jung qu'à la physique
quantique ou aux philosophies orientales.
Il dévore par exemple « le
Tao de la physique » (de Fritjof Capra), qui lui révèle que "Les lois
de la physique moderne confirment les concepts qui régissent les
mystiques de l'Asie, Hindouisme, Bouddhisme, Taoïsme."
Selon la
physique quantique, la présence de l'observateur modifie l'expérience.
L'observateur EST l'expérience. Où l'on rejoint par là le socle du
bouddhisme qui est le non-duel : l'homme n'est pas séparé du monde :
autant de façons de « penser par analogies, depuis le système solaire
jusqu'à la cellule, sans séparation de l'esprit et de la matière ».
Bref,
ses réflexions personnelles, teintées de mysticisme, l'éloignent du
matérialisme, l'isolant un peu du groupe 70. D'ailleurs, comme il se
sent autant « scientifique » qu'artiste, il se verrait bien arrêter la
peinture. Sauf qu'en réalité, il continue de peindre, essayant
différents moyens artificiels (yoga, méditation, voire alcool) pour
« se désinhiber, se dévérouiller , se laisser dériver » : « Je cherche
le lâcher prise : maintenant, j'arrive à être à la fois spectateur et
acteur, observateur de mes pensées ».
Son style devient abstrait, de
plus en plus, il refuse la forme qui emprisonne, et le titre qui
enferme, travaille sur les figures géométriques, comme le damier, ou le
cercle, tout en « simplifiant », comme le lui recommandait Viallat :
« J'aime travailler la matière, en épaisseur, qui accroche la lumière.
Et la couleur, qui est fondamentale … » |
Depuis que la figuration ne l'intéresse plus,
Vivien Isnard a acquis « un sentiment de liberté, qui élargit l'espace,
le monde ».
Dans son atelier niçois, il travaille debout, peignant
ses toiles au sol, n'hésitant à mettre les mains dans la peinture. Et
il tient à faire lui-même ses châssis, par exemple des toiles rondes,
qu'il tend à partir du centre : « Ça peut être fastidieux ou très
plaisant. Ensuite, je maroufle avec du papier, et je peins par dessus…
ça sonne comme un tambour, c'est un bruit très agréable ! »
Artiste
de la galerie Sapone depuis 1986, après avoir eu les honneurs du Mamac
en 92, il a participé aux rétrospectives décennales « Ecole de Nice »
de la galerie de La Salle, dont la dernière en 1997. |
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Aujourd'hui, Vivien Isnard a derrière lui un
riche parcours et une oeuvre impressionnante, si l'on en juge par
l'épaisseur de la monographie écrite par Jean-Marc Réol, aux éditions
galerie Sapone.
Où l'on peut admirer son travail tout en finesse et
sensibilité, d'une très grande variété formelle, aux compositions
parfaitement harmonieuses.
Jean-Marc Réol a su parfaitement exprimer
à la fois « l'intelligence historique et analytique que Vivien Isnard
projette sur la peinture et … l'effort de synthèse personnel unissant
matière, couleur et signe, pour produire des œuvres dont la géométrie
simple et subtile brille d'une ascétique splendeur. »
Mais
laissons la conclusion à l'artiste : « L'homme est une émanation de la
conscience; la peinture, une émanation de ce que l'on est; l'art, une
façon de faire les choses. C'est pourquoi il faut travailler sur
soi-même, par le biais de la méditation par exemple … où d'ailleurs, on
aboutit à la pensée analogique, qui est comme une respiration. »
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