ARTISTE
 

Vivien Isnard : les mains dans la peinture, la tête dans les étoiles

Vivien Isnard
63 ans,
Plasticien
Croit que la peinture est une émanation de ce que l'on est

  Par Florence CANARELLI


 
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Un fin visage entouré de cheveux frisés, un parler plein de douceur, une personnalité discrète qui sait réfléchir en solitaire mais aussi partager – il aime beaucoup son métier d'enseignant – ainsi apparaît Vivien Isnard au premier contact. Son oeuvre, en grande partie abstraite, respire la sensibilité et la délicatesse. Plongez-y : ce sera un merveilleux bain de beauté et  d'harmonie.                                                                                  
 

S'il est né en 1946 à La Forges-les-Eaux, en Seine-Maritime, c'est par le hasard des nominations de ses parents fonctionnaires. Car c'est à Saint Martin Vésubie que Vivien Isnard a vécu son enfance, avant de devenir à 15 ans pensionnaire au lycée Masséna de Nice.
La sensibilité artistique est dans la famille Isnard : un père qui aime dessiner, une grand-mère musicienne et un grand-père aussi, chimiste et inventeur qui plus est, de qui Vivien tient sans doute son « esprit également scientifique ».
A Nice, il découvre le pensionnat, la vie de groupe qui lui plait, et surtout, l'effervescence artistique des années 60 : c'est l'époque où Ben fait ses happenings dans sa boutique rue Tondutti-de-l'Escarène, où on peut voir des pièces de Brecht au théâtre de l'Artistique et discuter art au café le Félix Faure avec Arman, Farhi ou le critique Pierre Restany.

 
C'est dans ce contexte qu'il s'inscrit aux « arts-déco » - école devenu depuis lors « la Villa Arson ». Après un an d'armée en Allemagne (en 1968 !), il s'inscrit en 5ème année aux beaux arts d'Aix en provence, où il eut la chance d'avoir Claude Viallat comme professeur : le fondateur de Supports/Surfaces, mouvement qui a radicalisé la théorie et la pratique de la peinture, lui apprend à modifier son approche de l'art, à « déconstruire le tableau, repenser la peinture à partir de la notion de la fin de l'art, requestionner la peinture depuis ses origines. »
Cependant, pour des « raisons de générations », Vivien Isnard deviendra membre, non pas de Supports/Surfaces, mais du « groupe 70 », constitué à Nice d'anciens élèves de Viallat (Max Charvollen, Maccaferri, Martin Miguel et Louis Chacallis), qui, comme lui, « interrogeaient l'histoire de l'image et de la représentation. »

Ensuite, il suivra son propre chemin, empruntant un moment celui de la psychanalyse, mais s'orientant vers Jung (son inconscient collectif et ses archétypes) plutôt que vers Lacan.
Car Vivien Isnard est un intellectuel :  « J'ai besoin d'espace dans ma tête. Je me posais des questions métaphysiques : qui suis-je ? Où est notre liberté ? »


 

Nommé professeur aux beaux-arts de Tours en 1979, il profite des voyages en train pour lire Castaneda, s'intéressant autant à l'astrologie vue par Jung qu'à la physique quantique ou aux philosophies orientales.
Il dévore par exemple « le Tao de la physique » (de Fritjof Capra), qui lui révèle que  "Les lois de la physique moderne confirment les concepts qui régissent les mystiques de l'Asie, Hindouisme, Bouddhisme, Taoïsme."
Selon la physique quantique, la présence de l'observateur modifie l'expérience. L'observateur EST l'expérience. Où l'on rejoint par là le socle du bouddhisme qui est le non-duel : l'homme n'est pas séparé du monde : autant de façons de « penser par analogies, depuis le système solaire jusqu'à la cellule, sans séparation de l'esprit et de la matière ».
Bref, ses réflexions personnelles, teintées de mysticisme, l'éloignent du matérialisme, l'isolant un peu du groupe 70. D'ailleurs, comme il se sent autant « scientifique » qu'artiste, il se verrait bien arrêter la peinture. Sauf qu'en réalité, il continue de peindre, essayant différents moyens artificiels (yoga, méditation, voire alcool) pour « se désinhiber, se dévérouiller , se laisser dériver » : « Je cherche le lâcher prise : maintenant, j'arrive à être à la fois spectateur et acteur, observateur de mes pensées ».
Son style devient abstrait, de plus en plus, il refuse la forme qui emprisonne, et le titre qui enferme, travaille sur les figures géométriques, comme le damier, ou le cercle, tout en « simplifiant », comme le lui recommandait Viallat : « J'aime travailler la matière, en épaisseur, qui accroche la lumière. Et la couleur, qui est fondamentale … »

 

Depuis que la figuration ne l'intéresse plus, Vivien Isnard a acquis « un sentiment de liberté, qui élargit l'espace, le monde ».
Dans son atelier niçois, il travaille debout, peignant ses toiles au sol, n'hésitant à mettre les mains dans la peinture. Et il tient à faire lui-même ses châssis, par exemple des toiles rondes, qu'il tend à partir du centre : «  Ça peut être fastidieux ou très plaisant. Ensuite, je maroufle avec du papier, et je peins par dessus…  ça sonne comme un tambour, c'est un bruit très agréable ! »
Artiste de la galerie Sapone depuis 1986, après avoir eu les honneurs du Mamac en 92,  il a participé aux rétrospectives décennales « Ecole de Nice » de la galerie de La Salle, dont la dernière en 1997.


Aujourd'hui, Vivien Isnard a derrière lui un riche parcours et une oeuvre impressionnante, si l'on en juge par l'épaisseur de la monographie écrite par Jean-Marc Réol, aux éditions galerie Sapone.
Où l'on peut admirer son travail tout en finesse et sensibilité, d'une très grande variété formelle, aux compositions parfaitement harmonieuses.
Jean-Marc Réol a su parfaitement exprimer à la fois « l'intelligence historique et analytique que Vivien Isnard projette sur la peinture et … l'effort de synthèse personnel unissant matière, couleur et signe, pour produire des œuvres dont la géométrie simple et subtile brille d'une ascétique splendeur. »

Mais laissons la conclusion à l'artiste :  « L'homme est une émanation de la conscience; la peinture, une émanation de ce que l'on est; l'art, une façon de faire les choses. C'est pourquoi il faut travailler sur soi-même, par le biais de la méditation par exemple … où d'ailleurs, on aboutit à la pensée analogique, qui est comme une respiration. »
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