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C’est une maison coupée en deux. Composée
de deux hémisphères de 16 mètres de diamètre
chacune, blanches, lisses, seulement percées de quelques discrètes
ouvertures placées comme au hasard.
Les deux parties se font face, légèrement
décalées, l’une des sphères présentant un angle
qui avance tandis que l’autre semble reculer.
Fermée sur l’extérieur, les
deux maisons se regardent l’une l’autre, au travers de de hautes baies
vitrées à montants métalliques.
Entre elles, coulent un ruisseau, qu’on traverse
en sautant de rochers en rochers… |
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A l’image de ces gros rochers plats disposés
avec art, le cheminement de l’eau est lui aussi très étudié
: venant d’une source située au dessus de la maison, elle ruisselle
d’abord sur le terrain rocheux légèrement en pente, serpente
entre les massifs de fleurs qui bordent les deux façades de verre
avant de finir sa course dans un bassin noyé sous les branchages
légers d’arbres exotiques.
Et de remonter grâce à un ingénieux
système de canalisations souterraines. |
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Blanche de l’expérieur, la maison se
révèle colorée, pans de murs d’un superbe bleu cobalt
à l’intérieur, et vitres laissant apparaitre les couleurs
gaies - roses, rouges, bleus, jaunes d’or - des oeuvres peintes de l’artiste.
Comme les principes masculin et féminin
qui se contemplent, face à face, complémentaires et isolés
du monde, depuis la nuit des temps. |
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Seund Ja Rhee découvre la Côte
en 1958, lorsqu’une galerie cannoise expose pour la première fois
ses oeuvres. Quelques années plus tard, elle achète à
Tourrettes sur Loup, dans un coin isolé qui correspond à
son “caractère indépendant”, une “petite ruine” qu’elle restaure
et agrandit pour en faire un atelier.
Jusqu’au jour où, un beau matin (c’était
à la fin des années 80), trouvant la “lumière mauvaise”,
elle décide de bâtir un nouvel atelier - pour concrétiser
enfin son utopie de “maquette de ville nouvelle”. |
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Depuis les années 70, elle travaille
en effet sur le sujet de la “ville nouvelle vue d’avion”, cherchant un
langage intemporel à partir de formes universelles comme le triangle,
le carré et le cercle, tout en jouant sur les principes opposés
que sont le Yin et le Yang, la mort et la vie, le positif et le négatif…
Après l’urbanisme utopique de son oeuvre
peinte, elle passe enfin à l’architecture appliquée, dessinant
elle-même “les plans de A à Z”, en s’inspirant tout simplement
d’un de ses tableaux majeurs des années 70, sa période abstraction
lyrique : deux demi-cercles rouges qui s’interpénètrent comme
le Yin et le Yang. |
D’où ces deux moitiés qui se
font face, où elle installe d’un côté un atelier de
gravure, de l’autre de peinture, la lumière entrant à flot
par les baies vitrées autant que par des ouvertures dans le plafond.
Seund Ja Rhee aime expliquer sa rivière,
symbolique sur plusieurs plans :
- “Dans la mythologie orientale, la rivière
d’argent représente la voie lactée, mais aussi la terre,
le soleil, le néant, le zéro, situé entre le positif
et le négatif. L’eau qui coule est aussi le “moteur du Yin et du
Yang, ce qui est vivant, ce qui bouge, ou encore le fleuve qui coupe
souvent une ville en deux (la Seine à Paris). C’est également
un souvenir d’enfance, car je me revois à 5 ans, j’habitais au pied
d’une cascade et allais à l’école en sautant de pierres en
pierres” |
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Seund Ja Rhee partage ainsi sa vie entre les
planches, rondelles de bois, scies, limes et rabots destinés à
la gravure - ainsi que, après avoir franchi en quelques bonds sa
rivière d’argent, ses chevalets et pots de peinture - quand elle
ne mélange pas les deux en collant des troncs d’arbres sur ses tableaux
abstraits. |
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Car elle travaille encore plusieurs heures
par jour, “Comme un robot, j’ai toute ma vie beaucoup travaillé.
Sinon quoi ? … Sinon je suis morte…”
Sans oublier de se détendre en grimpant
dans sa mezzanine, aux cloisons et fenêtres en bois clair et papier
à la japonaise, où elle a sa chambre, une salle de bain à
baignoire circulaire … Et surtout un fauteuil merveilleusement placé
d’où elle voit, d’un côté, le village de Tourrettes
au loin, son jardin en premier plan, et de l’autre, une de ses oeuvres
majeures accrochée au mur, juste au bon endroit : deux demi-cercles
rouges qui s’interpénètrent comme le Yin et le Yang.
Tout récemment, elle a réalisé
un rêve de jeune fille : prendre le trans-sibérien - de Moscou
à Pékin - passant en quelques jours de l’extrême Occident
à l'extrême Orient : un voyage qui l’a mis en parfait
accord avec elle-même et avec la recherche de toute une vie. |
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Seund Ja Rhee
Née en Corée du sud en 1918,
Seund Ja Rhee quitte son pays natal en 1951, au moment de la guerre de
Corée, pour s’installer à Paris.
Femme, mère, artiste, Seund Ja Rhee
connait “tout de l’histoire humaine”, ce qui lui permet de “nourrir sa
peinture de son expérience”.
Mariée à 20 ans en Corée,
elle a eu quatre fils, qu’elle quitte à 33 ans, au moment de la
guerre de Corée - sacrifiant tout à son art pour réaliser
son rêve : s’installer à Paris.
Devenue peintre et graveur sur bois renommée,
elle a toujours gardé un atelier à Paris, dans le 6ème,
où elle vit encore six mois par an. Tout en ayant depuis plus de
trente ans élu domicile pour l’été en pleine campagne,
non loin deTourrettes sur Loup, |
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Passer de la très grande ville au calme
absolu, voila qui reflète bien son goût pour les extrêmes
- puisqu’elle est “née en Extrême Orient et vit en Extrême
Occident”, selon les termes du critique d’art Alain Jouffroy.
Depuis ses premières oeuvres figuratives,
elle évolue vers une simplification des formes, inspirée
de la nature, qu’on a pu qualifier d’abstraction lyrique.
Faite chevalier de l’ordre des arts et lettres
en 1991, elle a inspiré de nombreux textes et expositions à
Michel Butor. |
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