MAISON D'ARCHITECTE
 
LE CABANON DE CORBU 
une leçon d'architecture

J’ai un château sur la Côte d’Azur, aimait à dire Le Corbusier, qui a 3,66 mètres par 3,66 mètres. C’est pour ma femme, c’est extravagant de confort, de gentillesse” … Oui, le grand architecte Charles-Edouard Jeanneret, dit Le Corbusier, venait en vacances sur la Côte d’Azur dans un “château” aux allures de cabanon.

Par Florence CANARELLI


 
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A Roquebrune-Cap Martin, un sentier longe la mer, sous la voie ferrée. Un portail minuscule, un escalier exigu et, en contrebas, un modeste cabanon enfoui sous la vigne. Seul le site est grandiose : un golfe superbe, des falaises abruptes et la mer à nos pieds. Vous êtes cependant dans un site historique car c’est là que se trouve le “cabanon de Le Corbusier”, une oeuvre chère à tous les amateurs d’architecture moderne. D’ailleurs, la visite guidée du Cabanon, proposée par l’Office du Tourisme local, est devenu un must pour les étudiants en “archi” du monde entier. Les Japonais entre autres en sont très friands.
Le château ? Impossible de faire plus simple : sur une étroite bande de terre, face à la mer, trône une méchante baraque en planches avec une porte et une fenêtre, un point c’est tout.
 

Cependant, aussi étrange que cela paraisse, le grand architecte mondialement connu sous le surnom de Le Corbusier est venu, durant 18 ans, tous les étés au mois d’août, en vacances dans un cabanon construit de ses mains sur le terrain modeste d’amis à lui, les Rebutato. Alors même que, le reste de l’année, il publiait des livres, inaugurait ses plus grands chantiers (Chandigarh en Inde ou la Cité Radieuse à Marseille), exposait ses peintures et donnait des conférences partout dans le monde … avant d’être nommé Grand Officier de la Légion d’Honneur !

"Atteindre la poésie par la rigueur"
 
Voila un château qui pourrait paraître décevant (16 mètres carrés de rondin de bois et matériaux industriels) …
Sauf si l’on se rappelle le “ Modulor”, un système de mesures directement lié à la taille humaine, inventé par Le Corbusier, qui renouait ainsi avec le Nombre d’Or cher aux bâtisseurs de l’Antiquité. 
Soit une mesure-étalon de 2,26 mètres, la taille moyenne d’un homme le bras levé. Car “Corbu” voulait “revenir à l’échelle humaine”, que nous aurions perdu avec le système métrique.
 


   Le Modulor (un homme le
     bras levé) pour garder 
      l'échelle humaine

 
Regardons le cabanon avec d’autres yeux : 2,26 mètres de haut et 3,66 mètres de large, ce sont des combinaisons résultat de l’emploi du Modulor !
- “La poésie est un phénomène d’une exactitude rigoureuse”, disait-il. Le cabanon est donc bien une application pratique de ses idées : atteindre la poésie par la rigueur.
Visitons le cabanon : à l’intérieur, une seule pièce et un mobilier minimaliste. On trouve là un lit, étroit surmonté d’un étrange oreiller sculpté dans le bois, une table pivotante à un pied, des placards intégrés, deux cubes en bois servant de chaises, un petit lavabo rond en inox et une vitre de fenêtre astucieusement remplacé par un miroir pour se raser. Seul luxe, les couleurs : sol peint en jaune, plafond vert et orange pâle, des couleurs typiquement le corbusiennes.

 
Plutôt spartiate pour un château mais cependant complètement original et inédit : le parfait prototype d’une “machine à habiter”.

Retournons en arrière, au début des années 20. Dans la revue l’Esprit Nouveau, Le Corbusier se fait connaître comme le théoricien d’une nouvelle culture progressiste où l’architecture aurait une place de choix. Sa grande idée : adapter l’architecture à la civilisation industrielle, jeter un pont entre art et industrie. Refusant la tradition académique, qu’il juge inadaptée à l’époque, il appelle de ses voeux une architecture de rupture sans aucun élément connu, faite de chocs visuels et d’innovations tous azimuts. 
De quoi choquer plus d’un traditionaliste ! 


 
 
"La main humaine est une chose formidable"
 

"A Roquebrune, Le Corbusier arrivait par le train bleu avec sa femme. Ici, il se détendait, passant ses journées torse nu, en short, chaussé de vieilles espadrilles  …  Il se baignait, lisait beaucoup, prenant des notes avec un minuscule crayon qu’il perdait toujours" : c'est du moins le témoignage, recueilli en 1986,  de Madame Rebutato, voisine et amie de l'architecte, aujourdhui décédée.
Car pendant des années, Le Corbusier venait en vacances à "L'Étoile de Mer", une guiguette appartenant à son ami Thomas Rebutato. Auprès de laquelle il construisit son cabanon, en 1952 seulement.

La main de Corbu, 
imprimée dans la peinture
sur le mur du cabanon

 
   Madame Rebutato 
photographiée en 1986

Et il peignait sur les murs … Des fresques murales représentant des silhouettes humaines stylisées, au milieu desquelles on voit encore l’empreinte de son pied et de sa main, sans doute imprimée dans la peinture fraîche.
Plus étonnant, il a peint également une fresque sur les murs de la villa de sa voisine et amie Eileen Gray.

- “La main humaine est une chose formidable, écrivait-il, l’architecture se conçoit dans le cerveau mais c’est la main qui agit …”

Fils d’un horloger de La Chaux-de-Fonds, Corbu a commencé sa carrière comme graveur de montres : il était d’abord un manuel. C’est sans doute pourquoi il aimait aussi peindre et sculpter. La peinture en particulier lui tenait à coeur : “le secret de ma recherche, il faut le découvrir dans ma peinture.”


 
Moderne encore aujourd’hui

Le Corbusier s’est noyé le 27 août 1965 au large de Roquebrune. Il est enterré, près de sa femme qu’il adorait, dans le petit cimetière du village, dans une tombe qu’il avait lui-même dessinée. Après sa mort, les compliments se sont mis à pleuvoir : “cet homme universel”, ce “visionnaire” … Pourtant, toute sa vie durant, il dut se battre contre l’adversité.
Autodidacte épris de liberté, il fut, fondamentalement, un créateur, faisant table rase du passé pour proposer une vision neuve de l’avenir. Il est aujourd’hui encore un symbole de modernité. En témoignent sa chaise longue et son fameux fauteuil carré, réédités par Cassina et revenus à la mode ces dernières années. Ces villas blanches avec toit-terrasse, fenêtres en longueur et pilotis, indissociables de son style.Témoin encore ce slogan, que ne renierait pas un écologiste : “la présence quotidienne dans le logis au travail et dans la ville, des joies essentielles, le soleil, l’espace, la verdure”.
Si on lui a reproché d’être à l’origine des inhumaines “tours et barres”, lui pensait qu’il faisait une expérience sociale. Ainsi, la cité radieuse de Marseille, était selon lui un “service public de l’habitat”, géré par les résident eux-mêmes et comportant, intégré dans une unité d’habitation, des rues intérieures, avec boutiques, un hôtel, une école, une aire de jeu et un théâtre en plein air sur le toit. Les logements étaient novateurs sur bien des plans : espace, lumière, aération, isolation phonique, emploi du béton brut  mais peint de couleurs vives.

      Son épouse Yvonne, dont il 
reste cette photo accrochée au mur


 
En avance sur son temps

Le Corbusier ouvrait une voie nouvelle … pour le meilleur et pour le pire. Le problème du logement social reste un défi pour les architectes : comment construire des logements bon marché mais agréables à vivre, humanisés et qui plus est, esthétiques ?
Résolument progressiste, Le Corbusier se savait en avance sur son temps, disant avec un peu de regret : “je voudrais bâtir pour des jeunes, des jeunes qui pourraient comprendre”.
Faute d’avoir pu le faire, du moins a-t-il formé des générations d’architectes qui, quoiqu’ils disent, lui doivent beaucoup. Malgré tout, sans doute faut-il l’imaginer heureux durant sa vie : le bonheur se porte à l’intérieur, fruit d’une contrainte agréable, de la tolérance, de la solidarité, du dévouement, du courage, du sacrifice”.
J’ai un château sur la Côte d’Azur disait-il en parlant d’un cabanon …

 

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