YVES BAYARD, L'ARCHITECTE POETE
 

L’oeuvre dont il est le plus fier ? Le MAMAC et son double, le Théâtre de Nice, d’une architecture audacieuse et poétique, qui dressent au milieu de la ville leurs fières parois en marbre de Carrare. 
Plus qu’un architecte, Yves Bayard, 70 ans, est un artiste au sens fort du terme, qui aime autant dessiner que peindre, photographier ou écrire. 
 

Par Florence CANARELLI


 
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Yves Bayard est né à Paris en 1935, rue des Martyrs à Montmartre - un nom prédestiné pour un artiste ! … Si sa famille compte des financiers et des savants, c’est de la lignée “artistes” dont il aime à se réclamer. De sa mère, qui lui enseigne piano et dessin, tandis que son père, professionnel de la bourse, est aussi graveur à ses heures, vivant avec la nostalgie de ne pas être architecte. Yves Bayard se serait bien vu dessinateur humoristique, mais comme il perd son père à l’âge de 14 ans, il se sent un destin d’architecte obligé tout tracé. 
 
 
Cependant, il gardera toujours dans un coin de sa tête le personnage d’Adrien qu’il aime dessiner, une sorte de double qui a le droit de tout faire et tout dire. Comme il se doit, Yves Bayard entre aux Beaux-Arts de la rue Bonaparte, où il subira l’influence de professeur admirateurs de Le Corbusier et du Bauhaus. Avant d’en sortir diplômé en 1967 avec un projet  intitulé “le Maréolien”, qui est en fait un lieu d’observation de la houle se fracassant sur les côtes sauvages de l’île d’Ouessant. On y trouve en germes les grands thèmes qui marqueront son oeuvre : l’observation de la nature, le postulat des contraires, (le vide et le plein, la violence et la plénitude). Ainsi que sa forme géométrique fétiche, l’arc, “liaison d’un point à un autre”, et enfin, l’idée de promenade sensitive. 

Yves Bayard commence sa carrière en intégrant l’équipe d’Henri Vidal, grand ingénieur et architecte, inventeur de la “terre armée”, qui deviendra son “ami à vie”. Il épouse une “poétesse qui lui fait découvrir la poésie, Gaston Bachelard, Henri Michaud et Jean Dubuffet. C’est grâce à elle qu’il apprendra à voir “l’architecture comme partie de la poésie”. 

 

Sur la Côte, il découvre la poétique de l’espace 

Installé sur la Côte, à la Colle sur Loup, en 1969, il participe dès 1973 à la réflexion sur l’urbanisme de Sophia Antipolis (les premières ZAC), travaillant durant 4 à 5 ans pour le GIE (regroupant paysagistes ou notaires), en tant que responsable de l’urbanisme. Une recherche qui lui fera sentir la nécessité de “s’imprégner de l’environnement, de l’âme du pays”, de cette “poétique de l’espace” chère à Bachelard. Pour ce faire, il parcourt l’arrière pays, photographiant et dessinant les vieux villages de nos ancêtres, essayant de comprendre “comment leur architecture s’inscrit dans le paysage et évolue dans le temps”. De ce travail, il fera d’ailleurs une exposition à Beaubourg intitulée “conversation avec des villages”. 
Inutile de dire qu’il ne faut pas lui parler de rénovations rutilantes, il préfère les vieilles toitures en chaume et toile ondulée ou bien en lauzes de bois. C’est si vrai que sa propre maison à la Colle sur Loup est construite sur les ruines d’une ancienne bergerie, dont il a gardé pierres et lierres. 
Son associé Henri Vidal (agence à l’Arenas) se consacrant à vendre son invention de par le monde, qui d’ailleurs le rendra riche (20.000 ouvrages dans le monde utilisent sa terre armée, dont les remblais de l’autoroute Nice-Menton !), Yves Bayard est chargé de diriger l’agence d’architecture (jusqu’à 60 personnes) : “Henri Vidal fut pour moi une sorte de mécène, et, mieux, un grand frère. Grâce à lui, j’ai pu faire ce que j’aimais vraiment, sans compromis”. A Sophia-Antipolis, outre son travail d’urbaniste, il a signé aussi les bâtiments de l’INPI, le laboratoire Allergan, l’extension de l’Ecole des Mines, les Algorithmes, le restaurant de France Télécom ou le Théâtre en plein air. 
Ses autres réalisations : l’extension de l’Hôtel du Département de Nanterre, le bâtiment central de la technopole de Limoges, en forme de soucoupe volante; un collège à Bagneux, en forme d’arc … Citons encore un projet un peu farfelu pour Monaco : une île artificielle en forme de blason monégasque, dont le rouge est symbolisé par les tuiles des immeubles ! 
- “Grâce à Henri Vidal, j’ai eu une vie merveilleuse, j’ai fait ce que j’aime…” 
 
 

MAMAC et Théâtre de Nice, ses chefs d’oeuvre 
 

Adorés par les uns, honnis par les autres - Yves Bayard est conscient que son oeuvre a pu être considérée par certains comme un “viol”, peut-être parce qu’elle est “trop forte pour les Niçois” ? - les MAMAC et Théâtre de Nice sont pourtant un bel exemple d’architecture contemporaine audacieuse qui fait date dans l’histoire de la ville. 
Inaugurées en 1989 par Jacques Médecin, en qui il reconnaît un “excellent maître d’ouvrage amateur d’architecture” car il lui laissera carte blanche, ces deux oeuvres jumelles ont été mûrement pensées par Yves Bayard. 
 

Premier challenge : “faire avec des fondations difficiles”, car reposant sur les arches des ponts bâties après guerre pour recouvrir le Paillon. Ce qui explique la forme si particulière du Musée, finalement “intéressante puisqu’elle offre de nombreux angles, perspectives et diagonales”. 
L’esprit du projet repose sur plusieurs parti pris : d’abord, ne pas se laisser écraser par l’énorme masse d’Acropolis, le palais des congrès voisin, contre lequel Yves Bayard a dû se “battre”. 
Ensuite, créer une “opposition totale entre le froid du Musée et le chaud du Théâtre, le yin et le yang … Car le théâtre s’inscrit dans le musée, le musée est en creux alors que le théâtre reprend la même forme en plein”. 
Construire le musée à cheval sur la route (Nationale 7) afin de ne pas couper la ville en deux. Alterner les pleins et les vides, les tours en marbre et les passerelles en verre et métal. Jouer les transparences en “faisant évoluer les stores en fonction de la lumière”. Reproduire une falaise de marbre de Carrare au naturel (d’où une sélection draconienne faite par ses soins dans la célèbre carrière italienne). Relier les deux bâtiments par une esplanade surélevée, faite à l’origine pour “susciter un dialogue entre l’art contemporain et le théâtre” par le biais d’évènements culturels (dialogue qui, regrette Yves Bayard, ne s’est jamais produit). Subtilités : les escaliers qui montent vers la dalle et découvrent peu à peu les bâtiments, sont inspirés … de ceux de la Scala de Milan. 

 
Le Théâtre quant à lui est “à l’italienne” (vertical), décoré pour l’intérieur par Jacqueline Morabito (harmonie chaude de stucco, d’or, de patine et de rouges) et Jean-Michel Wilmotte. 

Même si l’architecte a quelques réserves à faire sur le détournement de son idée de départ, “une Kunsthalle à l’allemande, vaste espace pour faire tourner les expositions”… qui s’est au fil du temps transformé en classique musée ainsi que sur “le manque de pièces importantes du musée”, il n’en est pas moins certain d’avoir réussi là “l’oeuvre dont il est le plus fier”. 


 

La "Tête au carré" de Sosno
devenue une "sculpture habitée"

Une Bibliothèque et sa Tête géante 
 
 

 Dans les cartons d’Yves Bayard, dort depuis une quinzaine d’années déjà, un brevet de “sculpture monumentale habitée”, pris en commun avec Henri Vidal, l’associé qui a signé avec lui le MAMAC. Une idée née la complicité avec son ami, le sculpteur niçois Sacha Sosno : construire une “Tête au carré” géante qui pourrait abriter n’importe quel bâtiment, commercial ou administratif. 
Dès 1985, il présente avec Sosno à la FIAC, pour la galerie Catherine Issert, la théorie des “sculptures monumentales habitées”. Une “utopie réalisable” qu’il a essayé de décliner de plusieurs manières : projets d’hôtel géant avec une salle de conférence dans le menton (USA) ou sculpture habitable entre les deux tours du World Trade Center de New York. 

 


 
Or, lorsque en 1995, la ville de Nice relance le projet de Bibliothèque jusqu’ici en attente pour cause de surendettement, Yves Bayard participe à l’appel d’offre avec l’atout d’avoir fait ses preuves en signant l’architecture du MAMAC et de la Promenade des Arts, sous laquelle doit être enterrée la Bibliothèque. 
En 1997, il apprend qu’il a été choisi, lui et son associé Francis Chapus (“sans avoir versé le moindre pot de vin”) par le jury présidé par Jacques Peyrat. 
Son projet se distingue principalement par la Tête au Carré géante, inspirée de Sosno, qui se dressera à l’angle des rues Barla et Saint Jean Baptiste : haute de 28 mètres, mais faisant un angle de 45° avec la rue, ce sera la première Sculpture habitée par 40 personnes, une sorte de cerveau pour le personnel administratif de la BM, avec trois étages dans le cou et quatre dans le Carré. 
Après une très longue recherche sur les matériaux (puisqu’il était bien sûr impossible de concevoir des fenêtres dans la Tête, il étudie le verre, le plastique, le béton projeté), optant finalement pour un revêtement en aluminium perforé, traité comme un moucharabieh, “afin que de l’extérieur, on ne voit pas à l’intérieur, mais inversement, que le personnel puisse voir comme à travers un voilage. La maille en aluminium n’aura jamais été encore utilisée de cette façon : au Japon, on l’emploie seulement comme voiles flottantes pour cacher par exemple les parois d’un ascenseur”. 

 


 
Cette “peau” en aluminium, tendue sur des membrures, composée de trous de quatre millimètres de côté, sera sablée pour obtenir un effet mat, de couleur gris pâle afin de s’harmoniser avec les parois de marbre du MAMAC. 
Le socle sculpté sera non pas en bronze (trop cher) mais également en aluminium. Quant à la partie publique de la bibliothèque, elle sera enterrée sous l’actuelle Promenade des Arts, jusqu’à présent resté inachevée. Sur un seul niveau, une galerie centrale de 7 mètres de haut (qui descend à 3 mètres), est conçue sur les plans d’une basilique, avec ses chapelles latérales, où on trouvera la galerie des enfants, l’auditorium (120 places), la discothèque, vidéothèque, artothèque … Galerie centrale rythmée par des colonnes en béton, mais entourées de grilles d’aluminium et dotées de projecteurs éclairant le plafond. Couleurs et mobilier seront minimalistes, dans un style plutôt “monacal”. 
Tête bien faite, tête bien pleine”, c’est le nom qu’Yves Bayard aimerait donner à son oeuvre. Et il souhaiterait que les gradins qui marquent l’entrée de la Bibliothèque puissent être un lieu de spectacles : pourquoi pas des lectures de poésie ? 
Bref, un projet fort qui ne laissera pas indifférent. 

 

“ça passe ou ça casse” ! 

Yves Bayard est un architecte controversé et il aime ça : “je propose toujours quelque chose de fort : ça passe ou ça casse !” D’ailleurs, il n’est pas non plus un architecte classique, puisqu’il travaille non pas dans une “agence” mais dans un “atelier” qui lui rappelle celui de son père à Saint Cloud : un lieu pour dessiner, peindre, faire des photos … dans un “fouillis qui rend créatif”. 
Avec sa compagne Jacqueline Morabito, architecte d’intérieur et créatrice de bijoux, il aime écouter du jazz. En véritable artiste, il se soucie peu de l’argent, roulant depuis des années dans la même vieille Peugeot. Son seul luxe : un beau piano qui lui permet d’exprimer d’une autre manière encore sa profonde sensibilité. 
 

 

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