MAISON D'ARCHITECTE
 
LA MAISON DE FARHI : FAITE "MAISON"

A l’image de ses sculptures en forme de colonnes, la maison de Jean-Claude Farhi à Tourrettes sur Loup est un modèle de rigueur et de gaieté mélangées.
 

Par Florence CANARELLI


 
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Une personnalité forte, originale, ouverte et gaie, qui n’a pas peur de la solitude. C’est le portrait du propriétaire qu’on a envie de faire quand on visite pour la première fois la maison de Farhi à Tourrettes sur Loup.
Longtemps perdue dans les oliviers, tout au bout d’un minuscule chemin, loin, très loin de toute terre habitée, elle est à son image, puisque c’est lui qui en a réalisé entièrement la conception, faisant seulement valider le plan par un architecte.
C’était en 1968, l’année où Jean-Claude Farhi expose ses sculptures dans la célèbre galerie parisienne Iris Clert. Depuis quelques années déjà, il travaille le métal associé au plexiglas - des moteurs soudés entre eux présentés sur des socles en plexiglas - qui rencontrent un certain succès.

 

Un an auparavant, Farhi a participé à la première rétrospective de l’École de Nice chez Alexandre de la Salle, à Saint Paul de Vence.
Il ne gagne pas encore beaucoup d’argent : c’est par hasard, en l’échangeant contre une oeuvre, qu’il devient propriétaire de ce terrain perdu, loin de la civilisation, sans eau ni électricité, dont la valeur était alors … un franc le mètre carré ! 
Et il commence à dessiner, “sans se poser de questions”, une maison qui lui ressemble.
 

Des colonnes “farhiques”


 

“Des oeuvres belles, gaies, saines … Une leçon de rigueur et d’auto-contrôle, d’ordre dans le désordre” selon les termes du critique d’art Pierre Restany.
A l’image de ses sculptures en forme de colonnes, la maison de Farhi est un modèle de rigueur et de gaieté mélangées.
Lui qui se reconnaît “un peu maniaque de l’ordre, qui aime voir chaque chose à sa place”, a voulu par exemple ce carrelage blanc, lumineux et clinique, qui couvre les murs et le plafond. Des “carreaux de 10 par 10 centimètres, sans joints noirs, pratiques à nettoyer”, réchauffés cependant par un sol en parquet.
Sur un plan en forme de “huit”, c’est une maison composée de deux grandes pièces rondes soutenues par quelques piliers, entre lesquelles il faut monter cinq marches. Ronde sans “rien qui arrête le regard”, elle a depuis été agrandie, mais par d’autres cercles parfaits, juste ponctués de quelques cloisons.
Ouverte sur l’extérieur grâce à de gigantesques baies vitrées, des hublots et de hautes fenêtres, toute en transparence et jeux de lumière, elle “ne raconte pas de mensonges”, selon les désirs de son concepteur.

 

Pas l’âme d’un collectionneur mais …

Il prétend ne pas avoir l’âme d’un collectionneur, seulement un goût pour les objets techniques, détournés de leur fonction : un moteur de hors bord posé sur un socle, une trottinette des années 20, une énorme lampe d’hôpital en acier ou des sièges de coiffeur des années 50 chinés aux puces et utilisés en meubles de bureau.
Si ce n’est une “collection”, comment appeler ces dizaines de grille-pains chromés alignés sur une étagère, de postes de radio en bakélite des années 30, de lampes à parfum ou de verreries de toutes les couleurs ?
Et surtout les 1500 robots japonais des années 1950 à 70 qui occupaient des murs entiers et qu’il a revendu récemment : ne l’avait-on pas qualifiée de “plus grande collection au monde” ?
Une certitude : Jean-Claude Farhi aime les beaux objets, gais et colorés, au design intemporel, comme un juke-box multicolore ou un vieux frigo vert amande, un vase de Sotsass ou un divan signé Memphis. Rubrique dans laquelle on pourrait classer, pourquoi pas, les dizaines de statuettes africaines qui ornent tout un pan de mur. 


 
Et, non seulement il aime les objets mais les dessine souvent lui-même : comme ce tapis aux motifs géométriques de couleurs vives signé “Farhi, 1997”, dont un exemplaire est au MAMAC de Nice. Ou cette table basse en plexiglas transparent qui repose sur deux “colonnes de Farhi” qui ont un air penché.
La seule collection, ou même “lubie” qu’il se reconnaisse, est sa “palmeraie”. Pour réaliser le rêve de cet oasis miraculeux poussant au milieu du désert, Jean-Claude Farhi a déplacé les oliviers de son parc pour y planter des palmiers, qu’il fait venir à grands frais d’Afrique, de Chine, d’Amérique Latine ou d’Australie. Le point d’orgue de sa “collection” ayant été atteint le jour où il a fait venir d’Argentine une variété rarissime qui possède un gigantesque tronc de 15 tonnes : une colonne “pharique” dans toute sa splendeur, qu’il peut contempler depuis la baie vitrée de sa cuisine ultra-moderne en inox et aluminium, tout en nourrissant son chat.
Et il est vrai qu’une surprenante impression de voyage et de dépaysement exotique se dégage de cette palmeraie, perdue sur cette terre de Provence.

 
Jean-Claude Farhi aime l’art “plastique”

Jean-Claude Farhi est né à Paris en 1940, d’un père turc et d’une mère espagnole.
Après la guerre, sa famille s’installe à Bogota, en Colombie, où son père ouvre un magasin de chaussures. A l’âge de 17 ans, il débarque à Nice, où il travaille d’abord comme coursier à l’agence de voyage Kuoni puis comme guide touristique, en même temps qu’il suit des cours de dessin aux “Beaux-Arts” de Nice.
Deux ans plus tard, il fait sa première exposition personnelle au café Le Relax, rue Pastorelli à Nice, où il rencontrera César et Arman.
Après son service militaire en Algérie, il continue à peindre tout en dirigeant l’affaires de chaussures reprise par sa mère à la mort de son père.
1966, c’est l’année où Jean-Claude Farhi présente ses nouveaux travaux, les “Motorcolors”, qui seront remarqués par l’influant critique d’art Pierre Restany.
C’est le début du succès : il commence à associer plastique et métal, avant de ne plus travailler que le polyméthacrylate de méthyle (nom savant du plexiglas).

En 1968, il devient l’assistant du sculpteur César, voyageant avec lui à travers l’Europe. Durant seize années, il fait de fréquents voyages à Rome, où l’usine Polivar fabrique ses fameuses “colonnes” en plexiglas coloré.
C’est en 1972 qu’il découvre New York, où il retournera souvent par la suite, s’installant même un temps à Soho. Accueilli et encouragé par Arman, qui lui recommande de “voir grand”, il commence bientôt à signer des pièces de grandes dimensions, colonnes, stèles et disques.
En 1984, il participe à l’inauguration du palais des Congrès de Nice avec “Colorful Island”, la dernière de ses grandes colonnes.
Ensuite, il réalisera ses oeuvres monumentales en plexiglas sans plus bouger de son atelier de Tourrettes sur Loup, les exposant à New Canaan dans le Connecticut, chez Guy Pieters à Knokke-le-Zoute, à l’International Art Fair de Chicago (1989) … 
Sans oublier l’accrochage, en 1990, de “Dissémination” sur la façade d’un immeuble de l’Arénas, face à l’aéroport de Nice : 34 mètres de haut, 21 tonnes, 9 mètres de porte à faux, c’est la plus grande sculpture jamais réalisée en “perspex” (famille des plastiques). 
A partir de 1991, ayant “fait le tour des possibilités du matériau plexiglas”, il s’oriente vers le traitement de l’acier brut pour des grandes sculptures destinées au plein air, comme celles qui ont été exposées l’été dernier sur le quai des Etats-Unis. 
Aujourd’hui père de deux enfants (David, 19 ans et Victoria, 14 ans), Jean-Claude Farhi poursuit son oeuvre de “colonisation” des arts plastiques.

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