PORTRAIT  D'ARTISTE
 

Le jardin extraordinaire de Jacky Coville

Si la maison de l'artiste, au coeur du vieux village de Biot, n'a rien de remarquable, chez Jacky Coville, c'est le jardin qui est extraordinaire, peuplé de créatures surnaturelles aux couleurs chatoyantes…

Par Florence CANARELLI


 
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De l'extérieur, la maison des Coville n'a rien de remarquable : une longue bâtisse blanche quelque peu usée par le temps, enfouie sous une végétation du Sud au coeur du vieux village de Biot. 

C'est le jardin qui est extra-ordinaire : là dorment en un joyeux désordre des dizaines de créatures imaginaires aux couleurs chatoyantes…


 
Un jardin extra-ordinaire peuplé de créatures surnaturelles

Un oeil, une bouche, voire des dents ou un sein. Un chat tigré et un drôle d'oiseau, une chenille géante. Une fière tulipe bien rouge ou juste quelques feuilles vertes qui se dressent vers le ciel … Et encore de hiératiques totems mi-hommes, mi-bêtes … Les sculptures en céramique de Coville ne peuvent s'empêcher d'être "figuratives". L'abstraction froide n'est pas dans son registre, Jacky Coville est un artiste du Sud qui aime jouer avec le feu. Et pourtant…

- “j’ai épousé un ingénieur “, aime à dire Madame Coville.
A l'image de ses céramiques grands formats, Jacky Coville est une "pièce unique". Car il est le seul artiste français à être exclusivement céramiste. Et à cause de son parcours atypique d'ancien ingénieur aéronautique.


 

 
C'est seulement après dix ans passés chez Sud Aviation à La Courneuve qu'il fut rattrappé par sa passion première … la peinture !

D'ailleurs, il peint encore parfois et il dessine toujours beaucoup. Mais s’il s'est tourné alors vers la céramique, c’est en croyant que ce serait plus facile de gagner sa vie, pour lui qui est né à Sèvres, le haut lieu de la porcelaine. 

A 28 ans, il donne sa démission et installe un petit four de céramiste dans son jardin d’Aulnay-sous-Bois. Mais les débuts ne furent pas si faciles que prévu, et le métier très dur.

Il commence par modeler de petits objets décoratifs avec l’idée de les vendre comme des petits pains … Mais le succès ne vient pas, le voila obligé de faire plusieurs métiers pour nourrir sa famille.
C'est en 1973 qu'il débarque sur la Côte et achète un terrain dans le petit village perché de Coaraze - où il rencontrera les artistes de l’Ecole de Nice, Pagès, Ben, Viallat… - avant de s'installer à Biot, deux ans plus tard, dans l'ancien atelier de Roland Brice où il est encore aujourd'hui.
 


 
Ce lieu qui a une histoire possède surtout un four de dimensions gigantesques, qui  va lui permettre d'oser la céramique monumentale. 

L'occasion aussi de trouver son style, qui reproduit en céramique ce qu’il aime en peinture, mélange de cubisme et de Figuration Libre.

Pour inventer son univers fabuleux, fait de créatures hybrides, il travaille comme un architecte, à partir de pièces cubiques et de couleurs primaires, déconstruisant et reconstruisant à sa façon corps humains et animaux.


 
Ce qu'il aime par dessus tout ? 

Se mesurer avec des pièces de dimensions énormes (parfois jusqu'à 4 mètres de haut !) et avoir le dessus. Comme un défi qu'il se lance à lui-même. Et même si c'est épuisant physiquement, d'autant plus que Coville fait tout tout seul, le dessin, le modelage, la cuisson et même la recherche de nouvelles couleurs.

Un de ses grands totems lui demande deux à trois mois de travail, et parfois même une année pour une très grande oeuvre comme son "serpent de mer".

Heureusement, et bien que les céramistes soient bien mieux reconnus au Japon ou en Italie (où il a souvent exposé) qu’en France, Jacky Coville a acquis depuis lors une importante notoriété nationale. On trouve ses oeuvres à Nice dans le jardin du musée d’Art Naif et au Mamac, à Paris devant la bibliothèque François Mitterand et sur la pelouse du musée de la céramique dans sa ville natale.


 

 

 

 

A l'intérieur, se côtoient gigantesques céramiques et canapés minimalistes 
 

Le céladon - un vert-gris-bleu tendre - c'est la couleur préférée de Françoise Coville. Une couleur issue de la céramique, obtenue à partir d'un oxyde spécifique.

C'est avec des carreaux de porcelaine de cette couleur qu'elle et Jacky ont recouvert les murs et la baignoire de leur salle de bain : deux ans de travail pour cette "oeuvre" unique, entièrement faite à la main. Même le lavabo possède une touche artistique, car il a été moulé dans un plâtre sur lequel on a appliqué un torchon, pour lui donner quelques plis décoratifs.

Toute la maison est à l'image de cette salle de bain, petite et sans prétention mais hautement personnalisée. Depuis la cheminée et les éléments de cuisine qui sont en grès noir, cuits comme une céramique, jusqu'au mobilier dessiné par des amis artistes, comme ce meuble signé Michel Thiam et Claire Jacquot et placé, comme un théâtre en gradins au dessous de la fenêtre et encadré de colonnades en bois précieux. En passant par les oeuvres d'art accrochées aux murs un peu partout  - tableaux de Vasarely et de son fils Ivaral, vases en verre de Navarro, boite à bijoux et paravant de Christa Drack, écriture de Ben …
Jacky Coville a lui-même dessiné beaucoup de meuble, même s'il en a peu réalisé, sauf le "Trône" en céramique qu'il utilise comme fauteuil de bureau.

Mais les Coville aiment également le design, un style moderne sans fioritures, élégant et fonctionnel : ils sont capables d’économiser pendant plusieurs années pour se payer une pièce qui leur plait, signée d'un grand designer danois ou hollandais.
Résultat : un mélange personnel où se côtoient les gigantesques céramiques de Jacky et les canapés minimalistes de Madame Coville.


 

 

Sur les traces de Fernand Léger
 

C'est dans cette maison que le grand artiste Fernand Léger (1881-1955) découvrit la céramique. C'était au début des années 50, elle venait d'être achetée par Roland Brice, un ancien élève à lui, qui y fit installer un four 
de céramiste.
Tout est resté en l’état - même la grande pièce-atelier dotée d’une baie vitrée sur deux niveaux.
Du haut de la mezzanine - devenue aujourd'hui la chambre des Coville -  Roland Brice projetait les dessins de Fernand Léger sur le mur pour les agrandir avant d'en faire des moules. 
Pour la petite histoire, il dormait sur un matelas à même le sol et descendait de là-haut par une échelle de meunier - remplacé depuis par les Coville par un monte-charge miniature.
Très vite, devant les possibilités de ce four - qui permet de cuire des pièces de deux mètres de long et 1,5 mètres de large - Fernand Léger s'engage dans la réalisation de reliefs monumentaux en plusieurs éléments. A partir de peintures ou de dessins fournis par l'artiste, Roland Brice réalise un modelage en terre rouge puis un moule. 
C'est ainsi que Léger signera quelques compositions murales de grande dimension, comme "Les Femmes au perroquet" (2 mètres par 3), datant de 1952 et dont plusieurs versions sont conservées au musée Fernand Léger tout proche.
 


 
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