MOUVANCE
 
 
Albissola, "lungomare degli artisti"
Albisola -Vallauris 
l´axe de l´art-céramique

Albisola, petite ville balnéaire de la côte ligure, possède une tradition de céramistes depuis la Renaissance. 
Aujourd'hui, Patrick Moya et Giorgio Laveri perpétuent la tradition des échanges entre rivieras française et ligure.
 

Par Florence Canarelli


 
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Albisola, petite ville balnéaire de la côte ligure, possède une tradition de céramistes depuis la Renaissance avec ses fameux "laggioni", des carreaux de terre cuite polychromes proches des azulejos espagnols ou portugais.
Durant de longs siècles, sortirent des fours d´Albisola de luxueuses faïences d´un grand raffinement de formes et de décors, pots de pharmacie, vases, pieds de lampes, assiettes ...
Mais Albisola entame une ère nouvelle à partir de 1925, quand Marinetti signe avec Tullio d´Albissola le Manifeste de la Céramique Futuriste (1938) et quand Lucio Fontana choisit les ateliers d´Albisola pour y réaliser ses
premières céramiques "spatialistes".
C´est ainsi qu´Albisola est devenue la capitale italienne de la céramique d´art, attirant au fil des décennies de grands artistes du monde entier : le danois Asger Jorn, chef de file du mouvement Cobra, dans les années 50, et encore Wifredo Lam, Enrico Bai, Arroyo, Rotella ou Guy Debord ...

 
 

 

Céramiques de jacky Coville lors d'une expo du MAM 
(Chiari, février 2007)

Plus près de nous, en 2000, une exposition «franco-italienne» présentait les céramiques réalisées sur place par Ben, Patrick Moya et Jacky Coville pour les Français, avec Attilio Antibo et Giorgio Laveri côté italien.
Tandis qu´une "Biennale de Céramique dans l'art contemporain", lancée en 2001, présentait les créations de 25 artistes internationaux réalisées conjointement avec les artisans céramistes locaux.
Car aujourd´hui encore, une quinzaine d´ateliers de céramiques, entre Savone et Albisola, perpétuent la tradition, travaillant toujours en étroite collaboration avec des artistes contemporains.

 
 
Natif de Savone, Giorgio Laveri est l´un d´entre eux, parmi les plus talentueux : ses rouges à lèvre et stylos géants, d´esprit pop art et réalisés avec un grand souci du détail, impressionnent, séduisent les esthètes et se font remarquer bien au delà de sa ville natale - dans toute l´Italie, en France et jusqu´à Hong-Kong.
Dans des oeuvres comme "Cineceramica" (des photogrammes fixés sur l'argile et objets reproduisant des grands mythes de la "celluloïd", (1986) ou une pièce de théâtre mêlant "céramique, lumière et mouvement" (1990), Giorgio Laveri tente de "développer des corrélations entre cinéma, théâtre, peinture et céramique". Et il y réussit brillamment.

 
 
Patrick Moya, le chef de file de la Nouvelle École de Nice, connaît bien l´Italie pour y avoir souvent exposé (dès 1987 à Castel San Pietro, puis à Ravenne, Bologne, Bari, Gênes, Brescia, Milan, Avellino...). Mais c´est en 1998, grâce à son ami Giorgio Laveri, qu´il découvre la céramique.
Et c´est pour lui une révélation : «La céramique est une alchimie entre le feu, la terre, les couleurs, la frime, l´affabulation, la naïveté, le plaisir et l´orgueil, tout cela donné en spectacle au passant qui mate ... La céramique a cette particularité de réchauffer l´art, de le faire luire.»
Car c´est à Albisola que Patrick Moya se ressent le plus intensément comme un artiste du Sud : «De l´atelier à la plage, du café à l´atelier, de l´atelier au restaurant ... Voilà une vraie vie d´artiste méditerranéen.»

 
 
De l´autre côté de frontière, sur la Côte d´Azur...

L´Europe sans frontière ne date pas d´aujourd´hui. Au 15ème siècle déjà, les fresquistes italiens - comme les Piémontais Giovanni Canavesio et Giovanni Baleison ou le ligurien Andrea da Cella - offraient leurs talents aux murs des chapelles du Comté de Nice, tandis que le niçois Louis Bréa faisait de même à Savone.
Citons encore Jean Gerbino, inventeur de la mosaïque qui porte son nom, ou Suzanne Douly, qui crée en 1938 l´atelier Madoura.
C´est l´atelier Madoura que choisira Pablo Picasso en 1947 pour s´initier à la poterie : et quand le génie du 20ème siècle a mis ses mains dans l´argile, rien n´a plus été comme avant.
D´une part parce que Picasso a inventé des techniques nouvelles, comme les «pâtes blanches» dans lesquelles il dessinait une forme de visage ou une tête de taureau. Ou bien encore quand il transposait en céramique des linogravures, d´abord monochromes ("Toros" en 1954), puis en couleur ("La pique", en 1959, inspirée des tons du drapeau
espagnol).
Et surtout car il a définitivement élevé la céramique - comme Lucio Fontana avant lui - au rang d´un art majeur. Attirant dans son sillage à Vallauris, pour des séjours plus ou moins longs, Matisse, Chagall, Miro, Dufy, Léger, Braque, Foujita, Lurçat, ou encore Jean Cocteau, Jean Marais, Brauner, Pignon, Masson...

Patrick Moya et Giorgio Laveri perpétuent 
la tradition des échanges entre rivieras
française et ligure


 
 

Le MAM en action à l'atelier Ernan (Albissola, 2007)
 

La céramique, alchimie fondatrice du Mouvement des Artistes Méditerranéens

Loin de l´abstraction ou du conceptuel froid, Patrick Moya aime à se revendiquer comme "un artiste typiquement méditerranéen", qui "préfère le plein au vide" et n´a pas "peur de la figure humaine".
Lorsqu'il n'utilise pas les quatre lettres de son nom pour marquer ses peintures et sculptures, il met en scène un petit personnage de bande dessinée, résultat d'un croisement entre l'artiste et son personnage
préféré, Pinocchio.
Un personnage qu´il décline sur différents supports - et donc naturellement aussi en céramique, le "customisant" éventuellement avec les 4 lettres de sa signature, M, O, Y et A.
Giorgio Laveri quant à lui joue le jeu de l´esthétique, de la beauté et de la féminité, avec un brio typiquement latin.
Deux manières, différentes mais tellement "méditerranéennes", de rester des électrons libres de l´art contemporain : "alors que l´art contemporain n´a jamais été aussi encadré, on se sent ici, à Albisola, hors cadre. La céramique méditerranéenne est sans doute l´une des voies par laquelle l´art peut s´échapper d´un pesant gardiennage." (Patrick Moya, 2000)


 
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